Les Mats – Le scoutisme clandestin tchèque

En juillet 1991, j’ai organisé une route d’été en Europe de l’Est. Les régimes communistes venaient de tomber. Il était désormais possible d’explorer ces contrées, jusqu’ici largement interdites au scoutisme. J’ai eu la joie d’y découvrir la troupe et la meute de la 18ème Prague, un groupe scout qui venait tout juste de sortir de la clandestinité.

Depuis 28 ans d’une amitié née au fond des forêts tchèques et sur les coteaux de Reicha (Glandage), j’ai été souvent bercé par les histoires incroyables de mes amis. Des contes du temps où il ne fallait pas parler de ses camps à l’école, de cette cabane au fond d’une forêt ou certains indésirables du régime ont trouvé refuge, de cette époque où on se faisait baptiser en cachette dans un appartement. Des aventures réelles qui se sont terminées lors de cette mémorable semaine où les chefs se sont retrouvé avec le reste du peuple sur la place Venceslas pour réclamer et obtenir la fin d’un régime honni.

La 18eme Prague a été particulièrement marqué par la présence d’une société secrète d’anciens scouts, de joyeux vieillards qui luttaient contre l’adversité à coup de blagues, d’arts et de facéties. Ils ne s’appelaient pas les Mats mais les Dados. (Le nom est issu d’une blague intraduisible en français)

Voici une présentation de cette société :

Les Dados, descendants de la tribu Dado, sont tous issus du Groupe scout de la 18ème Prague. Ils se sont rencontrés pour la première fois dans les années 30 alors qu’ils n’étaient que de jeunes scouts.

Pendant la seconde guerre mondiale, plusieurs d’entre eux ont été déporté en camp de concentration puis, à leur retour, arrêtés à nouveau par les troupes soviétiques pour être interné en Goulag. Les deux régimes portaient la même détestation de leur engagement scout.

Dans les années 60, les Dados ont pu se réunir à nouveau et créer leur « société d’hommes d’honneur et d’humour ». Ils avaient leur propre langage, le Dadoien avec une grammaire sophistiquée et des milliers de mots de vocabulaires entièrement crées à partir de traits d’humour et de blagues potaches. Dans le « Groupe Clandestin » j’ai repris cette étrange mécanique intellectuelle. Ainsi le nom « Mat » provient d’un constat : Ils sont l’échec du régime, donc « échec et mat », Le clan du Duom tiens son nom d’une opposition au régime qualifié d’Infâme. Donc le contraire d’un femme = deux hommes donc Duom.

Chaque Dados parlaient couramment le Dadoien, les réunions et leurs écrits étaient ainsi incompréhensibles pour tout profane.

Les Dados se réunissaient régulièrement en suivant scrupuleusement un protocole aussi étrange que délirant. Ils commençaient toujours par réciter la prière des Dados en « Daoien » et passaient leurs soirées à déclamer des textes, des poèmes ou des pièces de théâtre inventés par eux. En hiver, ils partaient à travers les steppes et les forêts tchèques pour vivre une aventure particulièrement rustique malgré des températures largement négatives. J’ai eu l’occasion de participer à quelques unes d’entre elles. Nous campions aux abords d’une rivière gelée sur laquelle nous jouions au hockey. En dehors de ces réunions faites d’humour et d’échanges intellectuels, les Dados œuvraient au soutient du groupe clandestin de la 18ème Prague officiellement cachée dans l’organigramme d’un club de randonneurs praguois.

Le « Groupe Clandestin » s’inspire directement de l’expérience de mes amis tchèques et de la 18ème Prague et je me suis longtemps posé la question de rédiger une véritable biographie de ces « Mats » et proposer aux lecteurs un compte rendu précis de leur incroyable aventure. Je me suis pourtant heurté à un curieux problème linguistique. Les « Mats » ne parlent que tchèques et leur archives sont en daodien. L’actuel chef de Groupe de la 18ème Prague (un certain Petr Blazka) est en train de les traduire mais ce travail est très fastidieux pour un novice. Pierre rédigera lui-même l’histoire de ses anciens. De mon côté, j’ai préféré puiser dans ces témoignages pour relater une fiction plus proche de nos préoccupations et de l’avenir que les nouvelles techniques médicales pourraient nous réserver.